Un "jugement" salvateur, extrait.


Une seconde équivoque concerne la nature de la sentence.

Dans une longue tirade, Matthieu attribue au juge Christ un verdict tranchant. Ceux qui ont eu des gestes de bonté auront la vie éternelle. Les tourments, également éternels, sanctionneront qui aura manqué à l’amour du prochain. Sur un bâti sans doute authentique, insistant sur la concomitance de la grâce de Dieu et des actes d’amour gratuit des hommes, Matthieu a forgé un texte de composition équivoque. "Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs ; et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche" (25, 31-46).
Commencé comme une revendication personnelle du Christ, continué comme une parabole, le texte vient en assourdissante contradiction avec la miséricorde et la puissance de pardon du Dieu de Jésus. Pour les raisons de réalisme politique déjà exposées – soutenir spirituellement les judéo-chrétiens opprimés, faire comme si leurs persécuteurs juifs devaient être châtiés au Ciel – Matthieu paraît faire rimer le pardon sans condition avec la condamnation sans retour. À le lire hors de son contexte historique, ce passage de l’évangéliste trahit Jésus-Christ mieux que Judas !
Sa sentence de tourments éternels n’a pas d’écho chez les autres rédacteurs du Nouveau Testament.
Ni Paul, pourtant porté à l’emphase s’agissant du rôle du Christ, ni Marc ni Luc ne firent du Sauveur un juge suprême, décidant qui mettre à la droite de Dieu, qui confier aux flammes infernales.
Marc, Luc et Jean comprennent la pénitence comme un grand malheur. Les deux premiers ont une, et une seule, allusion à la Géhenne * 1, encore s’agit-il d’une métaphore : "Je vous montrerai qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la Géhenne. Oui, je vous le dis, c’est lui que vous devez craindre" Luc 12.5. "Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe la ; mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie, que d’avoir les deux mains et d’aller dans la Géhenne, dans le feu qui ne s’éteint point" Marc 9.43 - 44.

Cette image exprime sous forme d’un symbole foudroyant le rejet de l’amour de Dieu. Les mots Shéol ou Enfer * 2 ne figurent jamais dans la bouche de Jésus-Christ. Sa rhétorique est basée sur l’absolu provocateur de son exigence. Le tout ou rien qui exclut la demi-mesure. Seul le "tout" – disons la pratique de la loi du cœur – permet l’entrée dans l’Amour.